Rebondissement : "D'un point de vue administratif" risque de ne jamais sortir...


Pour moi qui suis fasciné par les effets de mise en abyme, quoi de plus réjouissant (tu parles) que de savoir que mon roman "D'un point de vue administratif" soit victime des merdes internes au fonctionnement administratif ou organisationnelo-politique de son éditeur ?
Rédigé pour me défouler en août 05 à la suite d'une colère provoquée à l'époque par le directeur de l'administration où je travaille, le manuscrit m'est demandé plusieurs mois plus tard par Gilles Dumay, éditeur chez Denoël, qui veut le lire, venant d'apprendre je ne sais trop comment que je me suis mis à réécrire. Gilles le lit et décide de le publier chez Denoël. Il le soumet aux membres du comité de lecture qui sont d'accord. Ne manque plus que l'avis du patron... qui le garde six mois sur son bureau sans l'ouvrir. Exaspéré par cette situation, je récupère mon manuscrit et basta. Gilles est très ennuyé (il n'y est pour rien, bien au contraire), et peut-être même vexé, mais de mon c$ôté j'estime que "ça suffit comme ça". Je tiens à me faire respecter. Au passage, je le réécris, et le mets dans un tiroir.
Puis Jean-François Platet et Pierre Fourniaud de Baleine/La Martinière le lisent l'année suivante. On me fait un contrat, je le réécris encore. Puis encore. Puis encore. Un an passe. Il y a des accélérations (je boucle la dernière version en passant une nuit blanche, car je dois le rendre au matin... pour apprendre que non, on ne se serait pas compris -mouai...- ça ne sortira pas en juin 2007... mais en septembre 2007... Je corrige les épreuves...), des ralentissements ("finalement ça sera en janvier 2008"), puis on m'annonce fin décembre 2007 : "il sortira en février 2008, mais dis... peux-tu corriger la couverture DANS LA JOURNEE step', c'est hyper pressé ?" (février m'arrangeait toutefois... car être dans les 600 sorties de la rentrée de janvier... pfff, aucun intérêt). Puis on me dit : mars 2008. Puis on me dit ces jours-ci : "avril, sinon septembre 2008. Il manque juste une signature, qu'un décideur appuie sur un bouton, car le fichier est chez l'imprimeur" (Jean-François Platet n'y est pour rien : il subit aussi les dysfonctionnements internes à La Martinière). Mi-mars au salon du livre de Paris je dois m'exprimer à propos de ce roman... qui ne sera ni existant ni, forcément, disponible.
Ca me rend FOU. Les "grandes" maisons d'éditions ou l'administration sont soeurs jumelles... et l'histoire se répète (*).
Ma conviction, désormais, est que "D'un point de vue administratif" ne sortira jamais (s'il sort de toute façon, ce sera discrètement car les représentants n'en auront rien à foutre de ce roman dont la parution s'est baladée dans leurs plannings). Bref, c'est cuit. Je ne le récrirai pas une nouvelle fois pour le tenir up to date avec ce qui se passe au gouvernement (ca raconte la vie dans une administration ministériele, entre autres).
J'en tire une leçon supplémentaire : c'est fini, le roman, la littérature, ce n'est même plus la peine d'essayer. Je pourrais vous en narrer d'autres, vertes et non mûres sinon carrément blettes, qui arrivent à des potes écrivains : c'est idem (bouquins sortis non corrigés, bouquins imprimés non distribués, corrections absurdes et sauvage...). Aucun roman ne sort dans des conditions satisfaisantes si vous n'êtes pas une star pré-programmée dans un plan de com'. Le monde de l'édition, qui est totalement à côté de la plaque de notre époque, est encore et toujours la proie de ses mutations et de son processus de concentration,... et le crétinisme gesticulatoire et largué y règne... C'est le grand n'importe quoi.

Il y a quelques années j'ai hurlé partout que je cessais d'écrire car je n'en pouvais plus de tout cela. J'y ai re-cru, enthousiaste, au grand barnum... je m'y suis remis en pondant "D'un point de vue administratif". Franchement, je regrette d'avoir alors passé mes vacances de l'époque enfermé à taper sur mon clavier. Vraiment, je regrette de n'être pas allé glander au soleil, comme tout le monde, comme les salariés et les patrons de l'édition ont dû le faire cet été là.

(*) 90% de mes livres n'ont jamais eu vraiment leur chance, car flingués en cours par des merdes soit chez l'éditeur, soit chez le distributeur. Exemple : co-auteur d'une anthologie de nouvelles de Hong-Kong, j'ai quand même déjà vécu un truc fabuleux : voir Philippe Lançon faire 3 pages (TROIS PAGES, oui) dans Libération "spécial Salon du livre de Paris invités Chine", il y a quelques années à son propos. Or le livre est sorti... 2 ans plus tard chez carrément un autre éditeur... après des démêlés avec un grand psychotique de chez Gallimard -et pourtant, merci à Antoine Gallimard d'avoir alors tranché le différend avec élégance). Certains auteurs hong kongais avaient tout de même été reçus lors du Salon du Livre... et n'avaient pas un texte en Français à présenter...